HOMMAGE AUX VICTIMES DES
MASSACRES DE DERSIM DE 1937-1938
Seyid Riza avec deux autres habitants de Dersim.
Durant les
années 1937-1938, sous le régime de Kemal Ataturk, eut lieu une campagne
d’extermination de la population civile de la province kurde de Dersim,
rebaptisée Tunceli depuis par les Turcs. Aujourd’hui, les Dersimis luttent
pour que ce crime soit reconnu en tant que génocide par des instances
internationales comme les Nations-Unies.
La date symbolique de ce génocide est le 15 novembre 1937, correspondant à
celle de l’exécution de Seyid Riza et de six autres leaders Kurdes de Dersim.
Les méthodes utilisées ne différaient pas de celles des précédents massacres
perpétrés contre les Kurdes. Comme par exemple, celui qui a suivi la révolte
de Cheikh Said en 1925 et celui de Zilan, en 1930. Cependant, concernant ce
massacre ayant eu lieu à Dersim, l’application de ces méthodes était
beaucoup plus qu’une simple répression.
De nombreux rapports préparés par les dirigeants turcs comme ceux de Celal
Bayar, premier ministre de l’époque qui plus tard deviendra président, Ismet
Inönü, premier ministre et par la suite également président de Turquie
succédant à Ataturk, le général Fevzi Çakmak, chef d’état-major de l’époque,
donnent clairement les signes d’une volonté d’anéantir la populuation de
Dersim.
Dans son rapport, Ismet Inonu écrivait en 1935 : « Étant donné que les
villages turcs qui faisaient barrage contre les Kurdes de Dersim se sont
affaiblis et que les villages arméniens ont disparus, cet espace est
complètement laissé à l’abandon. Les villages vides autour d’Erzincan se
sont remplis très vite par les habitants du Dersim, robustes et dominants.
(…). Dans très peu de temps, Erzincan deviendra un centre kurde et il y a
lieu de s’inquiéter de la création d’un Kurdistan terrifiant. »1
Dans beaucoup de rapports officiels d’époque, les propositions d’un
nettoyage des Kurdes pour installer à leur la place une population turque
sont clairement avancées.
Bien que Dersim revêtait un aspect de foyer vivant de kurdicité, la
possibilité d’une révolte générale kurde qui menacerait la Turquie était
très éloignée dans ces années de génocide de 1937 à 1938.
Bava Ibrahim, fils de Seyid Riza et Sahan Axa, chef de tribus des Bahtiar,
avec d'autres jeunes de Dersim.
Pour comprendre les raisons
de cette atrocité, peut-être faut-il regarder le rôle de Dersim dans
l’histoire du Kurdistan au XXe siècle. Lors du soulèvement kurde du mont
Ararat, sous la direction d’Ihsan Nuri Pacha en 1930, certaines tribus de
Dersim ont apporté leur soutien en attaquant les unités de l’armée turque
qui stationnaient entre les régions d’Erzincan et d’Erzurum. C'est à la
suite de cet événement appelé la révolte de Pulumur, que les armées turques
ont mené une expédition punitive contre le Dersim sans succès.
Historiquement, les régions du Koçgiri et du Dersim, comptaient parmi les
régions les plus attachées à leur identité kurde, et les plus soucieuses de
la préserver. Ce n’est pas un hasard si après le traité de Sèvres en 1920 la
première révolte pour un Kurdistan indépendant eut lieu à Koçgiri avec
l’appui des tribus de Dersim.
À Istanbul une organisation kurde (Kurdistan Teali Cemiyeti) fut créée et
des personnalités kurdes de Dersim et de Koçgiri y ont adhérées. Parmi elles
figurent Alişan Bey de Koçgiri, son frère Haydar Bey, leur administrateur
Alişer Efendi, l’épouse de ce dernier, Zarife Hanim, le colonel et chef de
police d’Istanbul Halil de Dersim, son cousin gradé Major Mustafa, le
vétérinaire Nuri Dersimî, Munzur le policier, Seyid Aziz et d’autres.
Des sections de l’organisation Kurdistan Teali Cemiyeti ont été ouvertes
dans les villes telles que Zara, Umraniye, Cellali, Beypinar, Sincan, Hamo,
Zmara, Doluca, Elaziz et dans d’autres villes du Kurdistan. La rébellion
armée commença dès le début des années 1920. Les tribus de Dersim et de
Koçgiri envoyèrent alors un ultimatum au gouvernement de Mustafa Kemal pour
la reconnaissance de l’indépendance du Kurdistan comprenant les provinces de
Diyarbakir, Van, Bitlis, Elazig, Dersim, Koçgiri.
Nuri Dersimî avec deux autres patriotes kurdes en prison en 1920
Le 25 novembre 1920, les tribus du Dersim occidental envoyèrent à
l’assemblée Nationale d’Ankara le télégramme suivant :
« À la présidence de la Grande Assemblée Nationale, Ankara
Selon les obligations du
traité de Sèvres concernant les provinces de Diyarbakir, Elaziz, Van et
Bitlis, la création d’un Kurdistan indépendant est nécessaire. En
conséquence de quoi, cela doit être créé. Au cas contraire, nous serions
obligés d’obtenir cela par la force des armes.
Le 25 novembre 1920, signé : Les tribus de Dersim occidental » 2
Si en 1925, au moment du mouvement kurde de Cheikh Said, Dersim reste plutôt
calme cela n’a pas empêché le gouvernement turc d’exécuter certaines
personnalités Dersimis en liens avec cette révolte comme Hasan Hayri Beg,
son cousin Celal Mehmet et d’autres. Et comme si dans l’esprit du pouvoir
turc ne régnait rien d’autre que la répression, en1927, il y a eu une
expédition militaire dirigée contre la tribu de Koçan à Dersim sans aucune
raison valable. La résistance de cette tribu n’a pas permis à l’armée turque
d’emporter une victoire mais sans doute cette guerre a-t-elle causée
beaucoup de dégâts.
Après la révolte d’Ararat, les conditions permettant une insurrection
générale des Kurdes pour obtenir leur indépendance en Turquie disparurent.
Dersim restait alors le seul foyer kurde vivant, loin des frontières
externes de la Turquie. Pour le gouvernement turc, le moment était idéal
pour perpétrer le massacre de Dersim car l’idéologie de la création de la
république de Turquie est basée sur la présence sur le territoire national
d’une seule ethnie, turque, d’une seule religion, l'Islam sunnite. Le reste
devait être « nettoyé » pour que la Turquie devienne un bloc uni, et
homogène.
À partir de l’écrasement de la révolte d’Ararat des préparatifs ont été mis
en place. L’extermination programmée débuta dès 1935.
Une « Loi de Dersim », concernant spécifiquement cette région fut
promulguée. Cette loi donnait pleins pouvoirs au gouverneur militaire du
Dersim. Les verdicts des tribunaux locaux devenaient définitifs c’est à dire
que les appels de décision, les cassassions ou les recours n’étaient plus
possibles alors que dans d’autres régions de Turquie ils le restaient. De
plus, les peines capitales étaient exécutées après la seule signature du
gouverneur militaire, alors que dans le reste du pays, elle devait
impérativement passer par le vote de l’Assemblée Nationale et être signée
par la main du président de la république.
Par la suite le gouverneur militaire promulgua un décret pour que les
Dersimis rendent leurs armes. La quantité d’armes exigées était au moins dix
fois supérieure au nombre total des armes présentes à Dersim. Certains
rendirent les armes.
Ensuite, les forces gouvernementales multiplièrent les provocations,
notamment des viols de femmes. Un recrutement d’agents-milice dans la
population de Dersim a été mis en œuvre.
La région fut encerclée par l’armée. Les bombardements massifs par
l’aviation et par l’artillerie lourde et l’usage des gaz toxiques permirent
à l’armée de briser les résistances.
Durant cette période de conflit Seyid Riza adressa la lettre suivante au
ministre des affaires étrangères anglais de l’époque. Cette lettre
(présentée ci-dessous) fut rendue publique par les services de l’État
anglais à la fin des années 1980 :
Des
figures comme Zarife Hanim, son époux Alişer Efendi, (photo ci-contre)
et Sahan Axa des tribus de Bahtiar ont été décapités par des agents du
gouvernement qui ont pu s’approcher d’eux. Leurs têtes furent vendues au
gouvernement.
Une fois la résistance brisée, l’armée n’en resta pas là. Un ratissage
territorial commença afin d’exterminer le reste de la population. Les
familles, des villages entiers furent anéantis avec les méthodes suivantes :
mettre des gens dans les grottes, cimenter les sorties et envoyer les gaz
toxiques, les brûler vifs par le feu, les tuer à coups de baïonnettes
(notamment les enfants), ou regrouper les personnes dans un endroit et les
tuer sous les tirs de mitrailleuses.
Certains responsables de ces massacres, plus tard, ont avoué ces atrocités
sans regret comme Ihsan Sabri Caglayangil, ancien ministre des affaires
étrangères et ancien président de la Turquie par intérim, Muhsin Batur,
ancien chef d’Etat major de l’armée de l’air de Turquie, et Celal Bayar
ancien président de la Turquie. Une fois la résistance brisée l’armée se
retourna contre les milices et les collaborateurs locaux du gouvernement
qu’elle avait elle-même recrutés sur place, et les anéantit avec tous leurs
enfants et leurs familles, sans exception.
En septembre 1938, à peu près un mois ou un mois et demi avant la mort d’Ataturk,
l’extermination fut arrêtée, pour des raisons que nous ignorons. Une
déportation massive de la population survivante de Dersim vers l’Anatolie de
l’ouest eut lieu.
Femmes et enfants arrêtés pour être déportés dans les années 1937-1938.
Dans les années 1950-1960 le nombre des civils kurdes tués à Dersim était
estimé de 40.000 à 80.000 personnes avec autant de déportés.
De très nombreux petits garçons furent tués et beaucoup de petites-filles
furent distribuées à des officier turcs. Selon certaines rumeurs, l’épouse
d’un ancien chef d’Etat turc, le général Kenan Evren, Sekine serait une
rescapée de génocide de Dersim.
Nous rendons hommage à toutes les victimes de cette barbarie, en
particulier, à ceux qui ont été exécutés par un tribunal arbitraire :
Seyid Riza, son Fils Resik Husein, Seyid Husein et Hesenê
İvraime Qıji de Kureyşan, Aliye Mirzê Sili et Hesen Axa
de Demenan, Fındık Axa de Yusufan.
Aussi à ceux qui ont été assassinés de façon atroce comme Zarife
Hanim et son époux Alişer Efendi de Koçgiri, Sahan Axa de Bahtiyar, Bese
Hanim l’épouse de Seyid Riza, ainsi que Bava Ibrahim et Şix Hesen, les
fils de Seyid Riza.Genocides
et crimes contre l'Humanité
1 Mehmet BAYRAK, Ismet Pasanin Kürt Raporunda Dersim,
Yeni Özgür Politika, 20 Ocak 2010
2 Nuri Dersimî, Kurdistan tarihinde Dersim , éd. KOMKAR,
1990, Cologne, P. 2. Cet ouvrage qui est considéré depuis de longues
années comme la référence essentielle sur l’histoire de Dersim a été
édité pour la première fois à Alep en 1952. L'auteur était une
figure importante de la révolte de Koçgiri (1920-1922) et de la
résistance de Dersim (1936-1938).