AVÈNEMENT DE LA MODERNITÉ
*
ET
GÉNOCIDE(S)
Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains.
Elle est morte sous notre sable libre. (…) Je viens de l’enterrer dans les
marais et dans les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez
donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les
femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. J’ai
tout exterminé.
Westerman.
Ma baïonnette changera en cimetières les jardins
pleins de roses. Je léguerai à l’histoire des ruines désolées, où, pendant
dix siècles, aucune civilisation ne pourra fleurir.
A.Gündüz.
Comment l’avènement de la modernité, c’est-à-dire à la
création d'un État nation laïc, peut-il être lié à un génocide ? Nous nous
poserons cette question en mettant en relation la Terreur vendéenne et le
génocide des Arméniens comme étant tous deux des éléments fondateurs d’un
État qui se veut partir d’une table rase.
Pour cela nous allons partir de la polémique autour de
l’attribution ou du refus du terme de génocide à un temps de l’histoire
puisque, lorsqu’il y a refus d’attribuer ce terme, ce ne sont pas les
événements en eux-mêmes qui sont contestés mais leur sens. Cette polémique
nous place donc d’emblée au cœur de la question de la nature d’un génocide à
laquelle se trouve indissociablement liée celle de sa reconnaissance comme
celle de son déni.
L’enjeu de cette dénomination est de taille
puisqu’elle porte à la fois sur le déni qui le constitue, celui qui consiste
à en falsifier le sens, c’est-à-dire à substituer un sens à un autre,
transformer les victimes en agresseurs, nommer événements de guerre ce qui
relève d’un projet programmé d’extermination, à utiliser un langage codé
etc.… Mais aussi sur ce qui se trouve être en jeu dans son maintien et qui
soutient le négationnisme.
En effet, si le déni qui accompagne tout génocide est
la mise en place de ce détournement du sens qui lui permet de s’exercer en
toute impunité, sa reprise permet, elle, que se poursuivent en toute
méconnaissance et clandestinité ses effets meurtriers sur leurs héritiers et
ceci indéfiniment dans le temps. En ce cas, refuser de nommer un événement
de l’histoire : génocide, devient un acte négationniste qui reprend et
poursuit le déni, donc, participe à la poursuite de ses effets, tandis
qu’accepter de le nommer ainsi est déjà un pas vers sa reconnaissance, un
pas vers la levée de son déni comme un pas vers une possibilité de penser le
véritable sens de ces événements comme de leur spécificité.
Par ailleurs, si le projet génocidaire est bien un
projet de meurtre de l’humain, l’emploi de l’expression : crime contre
l’humanité, me paraîtrait plus juste que le terme de génocide puisqu’il en
exprime le véritable sens et ceci même si, le terme de génocide,
contient sa dimension collective radicale, en l’idée d’extermination
jusqu’au dernier. Nous sommes cependant, paradoxalement, obligés de
conserver le terme de génocide puisque c’est par le refus de ce terme que se
marque le refus de son sens. Je le redéfinirai donc ainsi pour la clarté de
mon propos, comme l’organisation extrême préméditée et organisée d’un crime
contre l'humanité.
En effet, ce qui caractérise un génocide est avant
tout, avant le meurtre même des personnes, la volonté forcenée de
déshumanisation d’un groupe en son entier, pris comme représentant de la
race humaine, une race humaine qu'il s’agirait de détruire en tant
qu’humaine, c’est-à-dire, de « sarcler »
selon l’expression même des génocidaires. Pour cela, avant de tuer un
homme, une femme, un enfant, il faut donc qu’il n’ait plus ni visage ni sens
humain et, comme si cela n’était pas suffisant, il faut qu’une fois mort son
cadavre soit lui aussi expulsé hors de l’humain par un traitement qui le
prive à la fois de reconnaissance et de sépulture afin qu’il disparaisse de
la mémoire et de l’histoire comme s’il n'avait jamais existé. Ainsi à partir
de cette disparition-destruction d'un mort c’est toute la chaîne
généalogique qui se trouve détruite. Plus de passé, plus d’antécédence donc
plus de descendance possible. Car qui peut vivre sans ancêtres ?
C’est pourquoi il y a, pour les descendants, nécessité
de mettre en place ce que nous appelons l’incorporation du corps perdu du
disparu. Nécessité, pour seulement survivre en tant qu’humain, de devenir
des lieux d’accueil, de devenir en somme les tombes de leurs ancêtres morts
qui, expulsés de la mémoire et du champ symbolique collectifs, n’ont plus
place nulle part. Leurs descendants sont donc contraints de devenir ainsi
des vivants-morts, ce qui est, pour eux, la seule manière, en devenant
corporellement le lieu de mémoire comme de l’existence de leurs ancêtres, de
les empêcher de disparaître, selon le vœu des génocidaires, dans le néant.
La mémoire persistante des héritiers, tissée ainsi du corps des morts, est
donc en cela la plus sûre preuve du sens du projet génocidaire et de son
inscription hors du temps. Car si rien ne vient redonner place et sens à ces
morts dans l’espace des autres, c’est-à-dire des héritiers des génocidaires
comme dans l’espace de complicité que représente en ce cas le reste du pays,
le reste du monde, ces corps morts se transmettent de génération en
génération et de corps en corps indéfiniment et au prix de la vie de leurs
héritiers, entièrement occupés à être leurs gardiens.
Ceci met en lumière le versant transgressif et
suicidaire de toute idéologie de table rase, puisqu’elle se veut faire
l’économie de l’héritage et qu’à travers la tentative de destruction de la
filiation de l’autre, c’est la filiation elle-même, comme instance humaine,
qu’elle projette d’anéantir.
C’est pourquoi si le sarclage de la race humaine est
bien au cœur du sens d’un génocide, il est aussi ce qui est à cacher du coté
des génocidaires comme inavouable. Car comment avouer, mais aussi s’avouer,
que l’on désire anéantir sa dette symbolique à l’égard de sa propre
antécédence et ceci en subvertissant et transgressant les lois qui fondent
la transmission humaine ?
Les génocidaires ne se mettent-ils pas, dans ce cas,
eux aussi, hors histoire, et n’échoit-il pas, dans ces conditions, à leurs
descendants d’en porter le poids ?
La table rase instaure, donc, un temps hors histoire,
dans lequel ne peut que se répéter indéfiniment la violence de son moment
inaugural transgressif des lois humaines.
Mais revenons à la question de la nomination, dans un
colloque portant sur le Rwanda Jean-Paul Schreiber définit le génocide ainsi
: « Le génocide est un crime caractéristique du XXe
siècle, car seul notre siècle a réuni les conditions de possibilité d’un tel
crime. Au centre, il y a l’Etat et l’idéologie, c’est-à-dire un état
totalitaire, criminel, qui liquide, par un crime de nature idéologique, un
groupe constitué de ses propres citoyens et des citoyens des territoires
qu’il occupe. »
Et il ajoute : « Le refus de la fonction
méthodologique du concept, qui amène sa banalisation, c’est galvauder son
sens réel. L’exemple de la Vendée est éclairant de ce point de vue : c’est
ainsi qu’on retrouve dans une partie de l’historiographie française les
termes de « génocide franco-français » ou de « génocide jacobin », qui, en
plus de leur caractère idéologique, manquent de pertinence et pêchent par
anachronisme. »
Ce qui suscite, outre le fait que ce discours est un discours relativement
classique tenu par les négationnistes, quelques questions.
Tout d’abord, lorsque Jean-Paul Schreiber parle, à
propos du génocide, des conditions de possibilité d'un tel crime qui ne
seraient pas, dans le cas de génocide vendéen, remplies et joueraient sur la
nature de ce crime, veut-il parler de l’industrialisation des modes
d’extermination et, en ce cas, en quoi cette industrialisation a-t-elle à
voir avec le projet génocidaire lui-même, avec son sens ? Pourquoi les
chambres à gaz seraient-elles plus génocidaires que les massacres
systématiques ? Autrement dit en quoi une volonté d’extermination totale
nécessite-t-elle une technique avancée et en quoi cela change-t-il le sens
du projet, la planification comme la préméditation de l’extermination totale
d'un groupe ? Tout au plus la facilite-t-elle.
Par ailleurs, il y a, de sa part, une mauvaise foi à
taxer la nomination de génocide vendéen de caractère idéologique et de
non-pertinence sans développer en quoi consiste la non-pertinence du
caractère idéologique par rapport au sens du projet génocidaire. L’auteur ne
fait donc qu’énoncer là une appréciation purement subjective. Sans compter
qu’il dit lui-même que le génocide est d’ordre idéologique : alors de quelle
idéologie, qui ne ferait pas l'affaire, serait donc porteuse le génocide
vendéen ?
Mais arrêtons-nous sur un autre point de cette
citation qui me paraît tout aussi important parce que lui aussi est souvent
évoqué, celui du lien entre modernité et génocide, dont l’auteur dit que
l’évoquer à propos de la Vendée serait anachronique.
Ne peut-on au contraire penser la modernité,
caractérisée par la création d’un état nation laïc, comme ayant ses racines
dans la Révolution Française ? En ce cas, ce serait donc le génocide
vendéen, s’il était reconnu, qui viendrait dévoiler le lien paradoxal
existant entre modernité et génocide et lui qui deviendrait le premier
génocide parce que lié, précisément, à la naissance de cette modernité ?
N’est-ce pas ce qu’évoque Jean-Marie Varaut dans son
article Le processus mis en œuvre par la Convention en Vendée en 1794
rejoint-elle la notion contemporaine de crime contre l’humanité ?
Lorsqu’il décrit les processus mis en œuvre par la Convention en1974
: « C’est la Révolution qui a fourni le prototype de tous les tribunaux
d’exception de par le monde avec le tribunal révolutionnaire, le modèle des
polices politiques avec le comité de sécurité générale, et toutes les
prescriptions pour tare de naissance ou de religion avec la loi des
suspects. La guillotine est la première alliance du modernisme et du
crime. »
A ce propos, il y a là des ressemblances troublantes,
mais tout à fait éclairantes, entre le lien qui lie le génocide vendéen à la
Révolution Française et celui qui lie le génocide des Arméniens qui est
appelé, par ceux qui le reconnaissent, le premier génocide du XXème siècle,
à la naissance de l’Etat turc. Ressemblances qui permettent aussi
d’entrevoir ce qui relie ces deux génocides mais aussi ce qui lie leurs
dénis.
En voici un exemple que l’on a pu lire, dans la
presse, à propos de l’inauguration d’une place du 24 Avril - date choisie
pour commémorer le génocide des Arméniens - à Saint Martin d'Hyères. Le
consul Celatettin Kart, s’opposant à l’apposition, de cette plaque, précise
au Maire Jo Blancon que « Les événements survenus lors de la première guerre
mondiale dans l’Empire ottoman ne peuvent nullement être qualifiés de
génocide. Forte de 10000 âmes la Communauté turque de l’Isère se sentant
profondément offensée par cette falsification historique m’a instamment prié
d’être son interprète auprès de vous, afin qu’un tel projet portant
atteinte, tant à l’amitié turco française qu’à celle prévalant entre le
peuple turc et arménien ne voit le jour. » A cela s’ajoutait un tract de
propagande disant que : « Ni à cette date, ni à aucune autre époque, il n’y
eut de génocide du peuple arménien. »
La communauté turque est alors outragée et révoltée
par la décision de la mairie de Saint Martin d’Hères. Elle réclame également
la justice pour ses morts : « N’entachez pas le souvenir de l’amitié turco
arménienne, de mensonges. Laissez nos enfants vivre en paix. » Dit-elle.
Nous avons là, je pense un exemple condensé des arguments négationnistes
comme de la vigilance du gouvernement turc et de sa diaspora à cet égard.
C'est dans ce contexte que je donnerai quelques
citations qui pourront baliser le champ de la question du génocide arménien
en ses similitudes structurales avec la mise en place du génocide vendéen.
Ainsi Philippe Bouchereau, à propos de la création de
l’Etat-nation turc, dit, dans son article Discours sur la violence
que : « L’extermination des Arméniens n’est pas le fruit de l’identité
nationale (turque). Elle est l’un de ses épisodes fondateurs parce que les
Arméniens sont apparus aux yeux des exterminateurs comme l’expression de
l’Occident aussi est-ce en tant que représentants de la civilisation qu’ils
sont exterminés (...) en tant que peuple particulier manifestant
universellement l’humanité. Et d’ajouter que « La question de la « nation »
turque dont l’aboutissement étatique même est lié au dénouement de la
question arménienne dans l’Empire ottoman, nous pousse à réévaluer
l'ensemble du processus de construction étatique du Moyen-Orient. »
En ce cas la Turquie inaugure-rait-elle par ce génocide comme le fit la
Terreur en France pour l’Europe, un nouveau modèle au Moyen-Orient lié à la
création de l’État-nation et avec lui celle de l’homme moderne laïc ?
Mais, pour cela, il fallait faire table rase du passé,
c’est pourquoi : « Le passé ottoman fut considéré comme « anti-historique,
dit Hamit Bozarslan dans Identité nationale, conscience historique et
crime fondateur, le kémalisme s’empressa de se couper de lui. Peu de
temps après le droit, l’éducation ottomans, les tenues vestimentaires
« réactionnaires, » et « l’alphabet du passé » (…) passèrent par le feu et
furent interdits. L’adoption des caractères latins fut présentée par
Mustapha Kemal lui-même comme un devoir national. » De même que certains intellectuels kémalistes à la question que leur
pose le mensuel turc Resimli Ay en 1926 : « Quel livre brûleriez-vous si
vous en aviez le pouvoir ? Répondront : Tous les livres qui concernent
l’histoire et le passé. Tous les livres de morale. Tous les dictionnaires
qui empêchent le développement de notre pur turc. » « Il est tout à fait
possible de comparer dit Hamit Bozarslan ces réponses aux discours de
certains orateurs de la Révolution Française. »
En ce cas, le refus de l’Occident de reconnaître le
génocide des Arméniens aurait-il à voir avec ce qui lie ce génocide au
fondement de la démocratie turque comme écho d’un refoulé de l'histoire de
l’Occident, celui du lien de la Révolution Française à cette terreur
minimalisée et détournée de son sens que fut le génocide vendéen ? Serait-ce
cette parenté, c’est-à-dire la place occupée par le génocide comme partie
intégrante de l’avènement de la modernité, qui serait à occulter de part et
d’autre ?
Autrement dit, le refus de reconnaître le génocide des
Arméniens comme lié à la naissance de l’État turc serait-il lié à un refus
de reconnaître le lien existant entre la Révolution Française et le génocide
vendéen ?
Penser ainsi, c’est aussi établir un lien entre
l’avènement de l’homme moderne et celui de la production des génocides, liée
à l’arrivée d'un homme laïc. Cet homme qui, n’étant plus la créature de Dieu
et désormais privé du partage de la transcendance qu’elle obtenait grâce à
son amour pour lui est privé de son appui, il apparaît alors dans sa
finitude, son imperfection, sa mortalité radicale. Ainsi l’homme au moment
où il pose son indépendance comme absolue, découvre en même temps sa nudité,
sa fragilité comme son impuissance sans recours. Peut-on alors penser que
l’humain, sa nature, sa « race », sa castration, disent les psychanalystes,
devienne pour certains, insupportable ?
Il s’agirait donc d’exterminer cette humanité-là en un
groupe choisi comme particulièrement représentatif pour qu’à cet humain
insupportable puisse lui être substitué un homme nouveau, régénéré qui
retrouverait puissance, perfection, pureté et unicité mais qui ne serait
qu’imaginaire et plus proche de l’image de Dieu que d’un homme réel. L’idée
de cet homme nouveau impliquant de persécuter et de détruire l'homme ancien,
l’homme lié à Dieu, cet homme faillible et vulnérable pour créer un
homme-dieu, un surhomme.
Dans Les mécanismes de la terreur en Vendée Jean-Marie
Varaut dit que « La condamnation de la Vendée à l’anéantissement est
quasiment métaphysique. La région détruite laissera alors la place à une
région régénérée, sans passé, sans mémoire et sans nom. »
Autrement dit une terre vierge pour cet homme nouveau.
Car si tel n’est pas le sens de cette extermination
« Comment, s’interroge Alain Gérard, interpréter le non-sens politique que
constitue, en Vendée, le massacre gratuit et délibéré de la population après
l’écrasement total du soulèvement ? »
A partir de là, la thèse selon laquelle les Vendéens
auraient été exterminés en tant que race inférieure nous apparaît comme un
contresens. En effet, ce statut présumé d’infériorité ou de sous-homme ne
rend pas compte de la sauvagerie, cette folie de déshumaniser avant de tuer
qui peut sembler gratuite, puisque le meurtre simple ne nécessite pas cette
sauvagerie. Sauvagerie exercée sur les vivants, mais aussi sur les corps
morts comme s’il fallait que morts, ils n’aient plus rien d'humain comme
s’il fallait en quelque sorte leur arracher leur humanité pour qu’ils ne
soient plus des morts humains mais que, dénaturés, ils soient réduits à
n’être plus que viande de boucherie, animalité hurlante et qu’ainsi ils
disparaissent de la mémoire et de l’histoire humaine. Or, s’ils avaient déjà
été considérés comme des animaux, il ne serait pas nécessaire de prendre la
peine de les déshumaniser avec un soin et une persévérance si terribles.
C’est pourquoi nous paraît plus juste de dire que c’est, au contraire, parce
qu’ils sont des représentants de l’humain, choisis comme tels, que l’on
s’acharne à les animaliser pour les faire disparaître d’abord et
essentiellement, en tant qu’humains, avant de les détruire. Ce qui est visé
dans leur destruction est leur humanité et à travers eux la condition
humaine elle-même
Il s’agit donc bien de « sarcler la race humaine ».
C’est-à-dire en les animalisant de faire disparaître cette humanité
« d’avant », au profit de celle qui s’auto engendre, à sa place, comme toute
puissante.
En effet, il y a, redisons-le, un curieux paradoxe à
ce que ce soit à la naissance de l’individu dont les droits sont définis par
la déclaration des droits de l'homme que parallèlement se produise la
possibilité de la mise en acte de sa destruction radicale, comme si la
nature humaine apparaissait tout à coup en sa liberté mais aussi en sa
finitude, insupportable, c’est-à-dire porteuse d’une imperfection radicale
et consubstantielle qu’il fallait nier en l’anéantissant en l’autre pour
instaurer à sa place un sujet imaginaire qui, lui, ne serait pas soumis à
cette imperfection. L’idéal de pureté devenant alors l’équivalent d'un
délire démiurgique de toute puissance se croyant capable de créer un homme
nouveau qui échapperait aux lois qui régissaient l’homme ancien.
Peut-on en déduire que cette idéologie, comme
irréalisable, porte en elle sa propre destruction comme nous l’avons déjà
suggéré ? Destruction d'abord projetée sur un groupe défini, chargé de
représenter cet homme ancien dont on ne veut plus et dont la disparition
permettrait de s’affranchir du passé et de l’histoire, mais qui ne peut que
revenir, comme en un effet de boomerang, au sein même de l’appareil de
destruction, là où chacun ne peut que devenir un traître ou un ennemi en
puissance. C’est ainsi que se mettent en place, parallèlement à
l'extermination, des assassinats en séries, internes à cet appareil de
destruction, comme si seule cette configuration pouvait maintenir l’image
idéale de cet homme nouveau. La mort de tout ceux qui sont désignés comme
ayant failli à cet idéal étant ce qui seul peut maintenir cet idéal en son
point de pureté imaginaire extrême. En cela, nous dit encore Alain Gérard :
« La Terreur c’est l’épouvante sacrée qui doit décomposer la société,
effondrer les repères individuels, pour permettre à l’homme nouveau de
sortir de sa chrysalide et jeter les bases d’un nouveau contrat social (...)
Un tel effort prométhéen pour établir le paradis sur terre appelle
l’holocauste. »
Dès lors, serait-ce cette dimension meurtrière, mais
aussi autodestructrice de ces tentatives démiurgiques, qui comportent le
refus de la condition humaine en ses limites et ses dépendances et cache une
incapacité à s’y soumettre et une haine de soi incommensurable, qu’aurait à
charge de cacher le déni ?
Autrement dit, peut-on penser que la volonté de
maintenir le déni au présent soit liée au refus ou à l’impossibilité de
reconnaître ce qui sous-tend ces idéologies ?
Dans Le passé d'une illusion, François Furet
nous dit combien l’histoire a été prisonnière du mythe d’une image de pureté
révolutionnaire qui nécessitait d’escamoter le génocide et surtout les liens
internes et consubstantiels qu’il avait avec cette idéologie. Liens qui
n’ont pu commencer à être démasqués qu’à partir de l’effondrement de l’Union
soviétique dont les régimes se soutenaient de ce mythe et rendait
ininterrogeable celui de la Révolution Française : « Aujourd’hui, le goulag
conduit à repenser la Terreur (…) Les deux révolutions restent liées ; mais
il y a un demi-siècle, elles étaient systématiquement absoutes dans l’excuse
tirée des circonstances, c’est-à-dire de phénomènes extérieurs et étrangers
à leur nature. Aujourd’hui elles sont accusées au contraire d’être
consubstantiellement des systèmes de contraintes méticuleuses sur les corps
et les esprits. Et il ajoute : Le privilège exorbitant de l’idée de
révolution, qui consistait à être hors d’atteinte de toute critique interne,
est donc en train de perdre sa valeur d'évidence. »
Il s’agirait donc, à travers le déni du génocide
vendéen, d’un déni portant sur l’origine de notre société moderne et sur le
refoulement de l’autodestruction qu’elle contient, déni qui serait au
fondement de la naissance des démocraties comme des régimes totalitaires. Ce
qui donne à réfléchir !
Est-ce cela que tentent d’occulter ceux qui font du
génocide juif un événement unique et incomparable, escamotant ainsi ce qui
en est d’un avant. Auschwitz, qui devient alors un lieu d'origine, un lieu
inaugural des génocides. Ce qui, en séparant démocratie et modernité,
escamote le lien consubstantiel des génocides à la démocratie.
Mais c’est aussi comme si la reconnaissance de la
possibilité d’autres génocides, ne pouvait avoir lieu qu’au prix et à partir
de la conservation d’une certaine unicité inaugurale du génocide juif.
Pour les héritiers d’un génocide, se reconstruire
serait donc, avant tout, reconnaître et mesurer le poids du déni qui empêche
que soit prise en compte la véritable nature des événements pour qu’ils
puissent s’historiser, c’est-à-dire être replacés dans l’histoire et
retrouver leur sens à l’intérieur de celle-ci. Autrement dit que ce génocide
puisse s’inscrire dans ce réseau de sens qui lie passé, présent et avenir,
mais aussi le lie à l'histoire du monde. Reconstruire nécessite donc,
d’abord, une restauration des liens de sens avec l’histoire collective et
ceci dans le temps aussi bien que dans l’espace.
C’est en ce sens que, nous semble-t-il, Marc Nichanian
conclut sa préface au livre de Vahan Dadrian Autopsie d’un génocide,
par ces mots : «Il faut être attentif au révisionnisme de dernière heure,
celui des historiens (…) Oui, les faits ont bien eu lieu, et après ?
Tout débat se situe donc sur le plan du sens,
c’est-à-dire aussi de l’interprétation. Entre-temps, il faut continuer à
décortiquer la logique perverse des historiens... Contrairement à leurs
dénégations et à leurs professions de foi selon lesquelles il faut s’en
tenir aux faits et uniquement aux faits, les historiens dont je fais mention
savent pertinemment qu’évacuer le sens équivaut à annuler la réalité. »
Réflexion que poursuit Alain Gérard lorsqu’il se
demande si : « Cette difficulté à établir les faits qui plonge cette période
- celle de la Terreur - dans une épaisse obscurité, n’en constitue pas
justement une caractéristique essentielle, qui, à ce titre, devrait être
intégrée dans l’analyse. »
Cependant cette reconnaissance qui lèverait le déni,
donc reconnaîtrait le sens, ne peut aller sans une redistribution des rôles,
c’est-à-dire sans que soit levée l’impunité des véritables coupables que le
déni maintenait, c’est-à-dire que ceux-ci soient dénoncés et condamnés. Ce
n’est pas une question de vengeance mais de justice. Car à maintenir
l’impunité, ce sont les victimes et leurs descendants qui sont alors
désignés comme coupables et qui se sentent coupables en ce renversement
pervers si familier à la construction génocidaire. Ce n’est qu’à cette
condition que cette mémoire impossible, bloquée par la non-reconnaissance et
l’impunité, pourra se souvenir à nouveau. Car encore une fois, ce n’est pas
le souvenir des événements qui fait défaut, il est même là constamment
présent et en cela inoubliable, mais le sens de ces événements et surtout
les effets psychiques qui en découlent qui sont barrés à la conscience.
Ce n’est donc que du lieu de la reconnaissance des
autres - héritiers des coupables, héritiers des complices, mais aussi des
tiers complices actuels -, et appuyés sur un dire collectif du véritable
sens des événements, un dire soumis aux lois symboliques qui régissent
l’ordre humain, que les héritiers des victimes pourront de nouveau exister
en accord avec le monde extérieur et non dans ce clivage dans lequel les
maintient le déni. C’est-à-dire que leur vécu interne, jusque-là transmis
mais interdit de parole, pourra trouver place dans le discours collectif et
s’y inscrire. Discours collectif qui, ne soutenant plus le déni, pourra
sortir de la transgression et de la violence.
Voici ce que dit Ragip Zarakolu, journaliste et
éditeur turc, et l’un des fondateurs de l’Association pour la défense des
droits de l'homme en Turquie à ce sujet : « Lorsque nous luttions contre les
violations des droits de l'homme en Turquie nous avons constaté que le
mécanisme de pression était partout le même, que son origine remontait au
génocide arménien de 1915. (…) Ce mécanisme a d’abord été utilisé en Turquie
contre la mouvance gauchiste ; puis il a ensuite été appliqué contre les
Kurdes, un processus qui se poursuit aujourd'hui. Nous croyons pour notre
part que si nous voulons vivre dans un environnement sain et démocratique,
nous devons régler notre problème avec les événements de 1915. »
Mais, en ce cas, qu’en est-il pour la France de son
déni de la Terreur, de quelle (s) violence (s) le paie-t-elle ? Peut-être
cela vaudrait-il la peine d’y penser et de s’en inquiéter.
Dans l’article précité Jean-Marc Varaut dit ceci :
« le général Tureau a été honoré d’obsèques militaires et sur son cercueil
voisinaient les ordres de la légion d'honneur et de Saint Louis. Le moins
alors que l’on peut demander c’est que soit gratté et effacé le nom du
bourreau qui voulut faire de la Vendée un cimetière national. » Et il
ajoute. « Nous ne lui ferrons pas de procès posthume. » Précisément pourquoi
ne lui ferions-nous pas un procès et, nous ajouterons, même posthume ? Car
comment rétablir autrement l’ordre et la justice, séparer les bourreaux des
victimes si ce n’est en rétablissant la vérité, c’est-à-dire en dénonçant
les vrais coupables, ceux qui furent coupables de crimes contre l’humanité
mais aussi en prenant toutes les mesures possibles pour inscrire cette
reconnaissance dans l’histoire ?
En ce cas, effacer le nom de Tureau de l'Arc de
triomphe, en ce que cela constitue comme un symptôme de ce déni, serait un
acte symbolique qui permettrait, peut-être, de mettre en œuvre cette
redistribution.
L’enjeu est donc de taille puisque effacer ce nom,
comme acte à la fois de condamnation et de réparation, en séparant les
bourreaux des victimes, permettrait de rétablir les morts, victimes de
l’extermination, en leur statut de victimes et ainsi leur redonner vie et
place dans l’histoire. Mais c’est aussi séparer les vivants présents des
morts passés puisque ce retournement permet enfin que la vérité reconnue,
ces morts puissent, en retrouvant statut humain, être enterrés au lieu sûr
de leur reconnaissance, c’est-à-dire en terre symbolique et que leur deuil,
devenant enfin possible, leurs héritiers puissent cesser de les porter en
eux pour les maintenir en existence, comme en instance d'enterrement.
C’est donc bien d’un véritable retournement dont il
s’agirait, puisque reconnaissance et condamnation éclaireraient d’une toute
autre lumière non seulement la Révolution Française, mais aussi la vie
psychique de ses héritiers, qu’ils soient héritiers de victimes ou de
bourreaux.
Compte tenu de cela, Il se pourrait aussi que la
reconnaissance du génocide des Arméniens passe par celui de la Vendée, du
moins en ce qui concerne l’Occident, ne serait-ce parce que son déni
n’aurait plus besoin de servir d’écran au déni du génocide vendéen.
En ce cas, peut-on aller jusqu’à dire que le génocide
vendéen serait le lieu où se serait constituée la matrice des génocides, et
son déni, le foyer originaire de sa répétition ?
Parler d'un génocide vendéen, interroger ses rouages,
loin d’être un anachronisme, serait alors et au contraire, au plus vif du
sujet, au plus vif de la modernité et donnerait peut-être les moyens de
comprendre un peu mieux à la fois ce qui permet qu’un génocide se mette en
place mais aussi de quoi il se soutient.
En effet, si l’humain se constitue du sens donné et
reconnu aux événements tant privés que collectifs, organisés en une
histoire, le repérage de sens et son partage seraient les plus sûrs remparts
contre la barbarie ou plutôt les seuls en notre pouvoir mais aussi les seuls
à pouvoir démanteler, en les dévoilant, les réseaux de terreur que
constituent les filiations occultes des génocides fondées sur la
transmission de l’impunité et du déni, filiations perverses en ce qu’elles
sont filiations transgressives de la transmission.
Je terminerai, en signe d’amitié pour ces turcs qui se
battent actuellement contre le régime dictatorial turc, par ces mots d’Onath
Kutlar, écrivain et journaliste turc, tué dans un attentat à la bombe en
1995 et que citait G. Petek-Salom à la soirée d’hommage qui lui a été rendu
au musée de Beaubourg le 17 avril 1996 :
« Il n’y a pas de gagnant à la violence. La terreur
est le seul jeu dont tout le monde sorte perdant.
On dit qu’avant de poser sa tête sous la lame, André
Chénier aurait dit. Et pourtant il y avait plein de choses dans cette tête !
Oui ! Avec chaque personne tuée, c’est un univers qui
s’écroule. Aucun but sacré, aucune idéologie, aucun droit, aucune colère,
aucun pouvoir ne peut légitimer l’acte de tuer. »
Dans l’après-coup du colloque : Quelle
mémoire pour l'histoire ?
Dans le journal Le Monde du 5 juillet 1996 on a pu
lire ceci : « C’est à Blérancourt, charmante bourgade située entre
Compiègne et Soissons, qu’a été célébrée, samedi 29 juin, la rénovation de
la maison du révolutionnaire montagnard Louis-Antoine de Saint-Just.(…)
Les historiens présents lors de cette inauguration
étaient surtout venus célébrer en Saint-Just l’homme politique, membre du
comité de salut public et qui fut à l’origine des traités de Ventôse -
ceux-ci mettant en place, afin de lutter contre la misère, un système de
distribution des terres communales confisquées aux contre-révolutionnaires.
D’autres ont plutôt fait prévaloir le préromantique (...) saluant en lui le
symbole d’une nouvelle conscience collective, réapparue après la célébration
du bicentenaire de la Révolution. »
L’article se poursuit ainsi :
« Saint-Just d’actualité ? Ses concepts de liberté et
de partage avec les plus démunis, en tout cas, ne sont pas passés de mode.
Et se termine par ces mots : Alors que faire ? Sinon la révolution, du moins
visiter sa maison afin que notre mémoire ne tombe pas, elle aussi en ruine. »
La lecture de ce texte pose d’emblée la question qui fut au cœur du
colloque : La Vendée dans l'histoire
et qui n’a cessé de se
poursuivre en arrière plan du deuxième colloque:
Après la Terreur, la reconstruction,
à savoir celle de l’occultation de la Terreur et en particulier de son
projet de destruction de la Vendée, destruction de nature génocidaire, car
de sens et de projet génocidaire. Occultation qui à son tour a entraîné
celle de sa mémoire et sa falsification. Autrement dit si l’on reconnaît que
la Terreur fut génocidaire à l’égard de la Vendée cela n’implique-t-il pas
de pouvoir qualifier ce texte de négationniste ?
Et, ne serions-nous pas, en ce cas, osons le dire, en
présence d’une glorification des bourreaux servant à blanchir la Terreur ?
En effet, à aucun moment dans ce texte et sans doute à
cette inauguration, il n’est fait référence à l’activité de meurtrier à la
chaîne de Saint Just ; ce qui revient implicitement à absoudre sa folie
meurtrière au nom d’une idéologie de pureté... encore partagée. Et ceci, au
temps même où les statues de Lénine et de Staline ont été spectaculairement
déboulonnées et où ne reste que celle de Talaat qui, érigée en 1943 dans la
capitale turque, est toujours en place.
Est-ce justifié de faire ces liens, des liens de sens
qui permettent en même temps un repérage des filiations, c’est-à-dire une
inscription dans le temps donc dans l’histoire ?
Autrement dit est-ce amalgames douteux ou liens
éclairants ?
Mais revenons à la Terreur et à un autre bourreau,
Turreau, dont nous avons beaucoup parlé à ce colloque et à propos duquel
Alain Gérard a dit que : « d’instigateur des colonnes infernales il devient
le garant de l’oubli officiel à l’endroit de la Vendée et que plus tard le
roi le confirme en faisant des procédures administratives en sa faveur dans
son rôle de gardien de l’amnésie nationale. »
Ainsi il y aurait là comme l’installation d’un déni progressif de la
nature des colonnes infernales, dont Turreau serait le représentant et dont
il serait, avec l’inscription de son nom au Panthéon, comme le symptôme
puisqu’avec cette inscription il devient à la fois porteur de cette
destruction et porteur de son déni.
C’est donc le responsable de cette destruction qui est
utilisé pour nier l’existence de cette destruction, c’est-à-dire nier
qu’elle puisse relever d’autre chose que de celle d'un champ de bataille.
Ne serait-ce pas quelque chose de cet ordre qui se
poursuivrait avec ce musée ?
Il ne s’agit pas de nier l’apport de la Révolution
Française, mais pourquoi faudrait-il que ce soit au prix d’un déni ? Ne
pourrait-on concevoir un autre type de musée pour la Révolution Française ?
En effet, cacher la contradiction qu’elle comporte,
c’est tenir pour sans importance son mode d’instauration, c’est justifier
l’idéologie de pureté dont Saint-Just était un des plus ardents et actifs
défenseurs et qui nécessitait des meurtres en série conduisant, dans le cas
de la Vendée, jusqu’à l’ordre d’exterminer ses habitants « jusqu’au
dernier ».
Oublier cela ou plus encore tenter de l’effacer pour
le rendre comme nul et non advenu, n’est-ce pas maintenir liés les droits de
l'homme et les meurtres, donc les justifier et laisser le champ libre à la
reprise de ce modèle, ce dont certains ne se sont pas privés ?
Or, c’est ce lien entre l’apparition de la modernité
et celle de la démocratie, elle-même liée à l’effondrement de la
transcendance portée par un Dieu et la possible destruction radicale de
l’homme par l’homme, qu’il s’agit d’interroger, en travaillant sur la
manière dont ce lien s’est instauré.
Mais cela nécessite, au préalable que, non seulement
la Terreur soit reconnue en sa vraie dimension, comme constituant un des
lieux d’origine de ce qui, plus tard, sera défini comme génocide, mais aussi
que soit lié ce moment génocidaire de la Terreur, si l’on accepte de le
nommer ainsi, à d’autres moments génocidaires de l’histoire. Un fil de sens
serait à (re)trouver du coté de ce qui lie la Révolution Française et sa
Terreur, aux temps des Terreurs qui l’ont suivi.
Ainsi si l’on reprend le thème du premier colloque
comme celui du second, ne peut-on dire que si au temps de la Terreur a
succédé celui de la reconstruction, cette reconstruction ne peut avoir lieu
hors la levée du déni, celui de la Terreur comme génocidaire. Il ne peut y
avoir de mémoire sans restauration de ce sens. Sens sans lequel et jusqu’à
présent, aucune vie véritable ne peut avoir lieu. Cette mémoire qui permet
enfin d’enterrer les morts parce qu’ils ont retrouvé place dans l’histoire
et n’ont donc plus besoin d’être portés, « maintenus en existence », par
leurs héritiers.
Or les Vendéens semblent toujours isolés et
prisonniers de ce déni.
C’est pourquoi Alain Gérard dit encore de la Terreur
que, face à son déni et faute d’être reconnue pour ce qu’elle avait été,
qu’elle « est demeurée incompréhensible. D’abord parce qu’il s’agit d’une
histoire subie, d’une blessure infligée du dehors. Sauf à s’enfermer dans
une haine qui les aurait ultérieurement consumés, les Vendéens n’avaient
probablement d’autre choix que de conférer à leur drame une dimension
eschatologique. »
C’est comme ça, dit-il, que la recherche « abandonnant
toutes recherches de sens, tenues pour superflues, s’investit dans la
connaissance, de plus en plus érudite, des petits faits locaux, des moindres
parcelles d’existences disparues. Sans doute au fond s’agit-il d’offrir
asile à la mémoire de ceux qui n’ont pas eu de sépulture, de souder sa
propre fidélité à celle des grands ancêtres. Peut-être aussi, (…) une
volonté réaffirmée d’enracinement, plus facile à habiter, plus propice aux
liens avec le sacré. »
Pourquoi ne pas poursuivre, alors, ce travail du coté
d'une mémoire partagée, sous forme d'un retour à la mémoire du sens, qui,
comporterait reconnaissance et levée du déni, une levée du déni de la
Terreur comme génocidaire et qui nommerait leurs responsables parmi ceux, en
l’honneur de qui, il ne serait plus possible d’ériger une statue ou de bâtir
un musée ?
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